Dans la jungle des livres sur le vin naturel

Retranscription par Éric Conan d'entretiens croisés entre Jean Foillard et Jean-François Ganevat et illustration de couverture par Michel Tolmer, qui sait toujours mettre de la distance et de la finesse, quand il s'agit de brocarder certaines choses, y compris le vin nature, ce livre a tout pour attirer l'attention ses aficionados en cette rentrée œno-littéraire. D'une construction intelligente, passant en revue différents aspects du vin nature au fil de la conversation, et d'un intérêt indéniable, le discours est au final gâté par un chapitre tout à fait dispensable et des considérations rétrogrades un peu glauques de la part d'un journaliste qui, s'il a suivi l'évolution de ce milieu du vin naturel depuis le début, a dû rester bloqué au siècle dernier à un moment donné. Critique que j'espère constructive, même si je n'ai rien d'un critique littéraire.
Si on se réjouit et se régale de revenir aux sources du vin naturel et aux origines des domaines Foillard et Ganevat au travers des discussions avec les deux vignerons et d'appréhender, ainsi, leur conception du vin naturel au travers de leurs pratiques, on sera plus circonspect sur les prises de parole d'Éric Conan, qui dirige les échanges, et que l'on se gardera de qualifier de barbare, parce qu'ironiser sur les noms de famille, c'est mal.
Que la lecture de Déviant! Le vin nature par défaut(s) l'ait fait tomber des nues en même temps que de sa chaise aurait plutôt tendance à m'amuser, si ce n'était le fait qu'une lecture superficielle, très premier degré, l'ait fait passer totalement à côté du message délivré par mon livre. Si je peux le comprendre de la part d'un organisme comme Vitisphère, dont c'est loin d'être le credo (euphémisme!), j'ai un peu plus de mal quand cela vient de personnes supposées avoir une bonne compréhension du problème. D'autant que j'ai eu énormément de réactions positives, venant de vignerons et vigneronnes de la mouvance nature. Il est particulièrement réconfortant qu'au fil d'autres conversations, Éric Conan aborde la question des défauts, qu'il qualifie de "surprises que peut rencontrer un consommateur de vin nature" (une consommatrice aussi, je suppose, mais l'écriture inclusive n'est pas son point fort, loin de là, on le verra plus tard). Le gaz? "Moi, j'adore ça!" dit Fanfan. La souris? "Je ne peux pas la décrire parce que j'y suis insensible." confesse Jean Foillard. La volatile? " Elle est plus ou moins perceptible selon la qualité du vin. On peut la percevoir à 0,50 gramme et ne pas la sentir à 1 gramme." avoue Fanfan. La graisse? "Les bactéries se mettent en chaînettes qui peuvent se casser. Cela peut donc disparaître." explique Jean Foillard. Bref, Éric Conan n'a fait que réécrire Déviant! à sa façon, finalement.
On ne s'attardera pas plus que ça sur le chapitre intitulé "Où l'on assiste à l'assaut des militants wokistes sur le mouvement nature", tant il est rance et rétrograde (taillant au passage des croupières à la team Nouriturfu), qualifiant le mouvement nature, non pas d'expérience révolutionnaire menée à son terme, mais de "premier projet réactionnaire réussi (qui) traduit le désaveu et l'abandon du cycle historique du progrès dans la viticulture commencé dans les années cinquante (engrais de synthèse, azote, phosphore, potasse, traitements phytosanitaires, mécanisation)." Les vieux réacs et les bas du front, ce ne serait pas plutôt le retour des pesticides et de la productivité, qu'ils réclament, pour ne pas entraver les pratiques culturales et la rentabilité économique? Ou alors, c'est que je n'ai rien compris.
Pour tout le reste, je dois confesser, le livre se lit plutôt très bien. Même si Éric Conan a un peu tendance à se prendre pour Tarzan. Moi, je me sentirais plutôt Jane.
En conclusion, ce livre est donc tout à fait recommandable, à la condition d'agrafer discrètement quelques pages à la fin de l'ouvrage afin de ne pas avoir à les lire. On évitera de les arracher pour ne pas être accusé d'incitation à l'autodafé, pratique détestable s'il en est. Et on profitera de son passage à la librairie pour se faire un vrai plaisir en achetant le volume 8 du Glou Guide, indispensable compagnon des libations bachiques naturelles, écrit cette année à dix mains, ce qui multiplie par cinq les applaudissements.
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