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Grand vin du Marquis de Léoville, l'Intégrille!


Date: le 26/04/2004 à 23:45

Ou presque! Pas exactement une intégrale, mais pourtant, c'était un véritable marathon auquel nous étions conviés à l'Oenothèque de Leytron, à l'initiative d'une poignée de Passionnés du Vin.com, qui ne se rendaient pas compte de l'ampleur de la tâche.
Initiée en janvier 2003, cette dégustation orgiaque aura mis 13 mois à se concrétiser, même pas la durée de gestation d'une éléphante!

Retour sur la genèse de l'événement:

16 janvier 2003, 7 heures 48. Un Valaisan bordeauphile lance l'idée d'une petite verticale de Léoville Las Cases avec 8 millésimes présents dans sa cave. 3 de ses compatriotes surenchérissent dans la foulée, apportant 9 millésimes supplémentaires.

7 novembre 2003, 14 heures 27. Le projet, jusque-là en sommeil, refait surface. La vitesse supérieure est enclenchée, mais le moteur tourne encore au ralenti. Un autre Helvète se joint au groupe.

10 décembre 2003, 9 heures 43. Notre Valaisan, trépignant d'impatience, fait jouer de l'accélérateur. Le moteur commence à monter en régime. Un Parisien spécialiste des vieux millésimes se joint au groupe et à partir de là , tout s'emballe. Dans les jours qui suivent, 5 millésimes se rajoutent aux autres pour porter le total à 17 le 15 décembre 2003. Un Jurassien pas encore totalement bordeauphobe fait acte de candidature pendant qu'un autre vieux millésime fait son apparition.

20 décembre 2003, 18 heures 54. La date du samedi 24 avril est arrêtée. La dégustation se déroulera en Valais, à l'origine du projet, dans les locaux de l'Oenothèque de Leytron.

6 janvier 2004, 17 heures 23. La dégustation prend encore plus fière allure par l'apport de 3 millésimes anciens d'anthologie et encore 3 autres qui viennent compléter la série. A la date du 13 janvier, nous en sommes à 24 millésimes différents, allant de 1934 à 2000.

5 avril 2004, 9 heures 18. 10 autres bouteilles sont venues s'ajouter à la longue liste ce qui nous porte à 32 millésimes, dont un 47 en double exemplaire, mise négoce et mise Château.

9 avril 2004, 11 heures 34. Visiblement insatisfaits du nombre de bouteilles, nos amis Helvètes décident d'introduire Léoville-Barton 2000 en pirate pour un face à face avec son homologue.

Dites 33, Monsieur le Marquis! En fait, le compte n'est pas tout à fait bon: 32 millésimes seulement, 33 bouteilles, 1 magnum, 1 intrus, 9 heures de dégustation quasi non-stop! Et ce n'est pas tout! Le lendemain, 5 tubes de dentifrice (celui pour rendre les dents blanches!), 5 boîtes d'Alka-Seltzer, 25 sachets de Bicarbonate de soude! Cette folle journée restera dans les Annales comme celle de tous les records!

17 avril 2004. Toutes les bouteilles sont arrivées saines et sauves à l'Oenothèque de Leytron, dissimulées dans des paquets jaunes de la Poste Helvétique ou dans le coffre de voitures frontalières. Elles ont une semaine pour se remettre du décalage horaire et se présenter sous leur meilleur jour.

C'est parti!

Samedi 24 avril 2004, 12heures 30. Les premiers participants commencent à arriver à l'Oenothèque de Leytron. Les visages sont souriants et détendus, une manière conviviale d'évacuer le stress et la pression. La fébrilité commence à poindre lors de l'installation des bouteilles pour la photo.

- Mets plutôt celle-là  ici!
- En ligne droite ou en arc de cercle?
- Et le magnum, il est mieux où? Devant ou derrière?
- T'aurais pas vu la 48?
- Elle est cachée par la 59!

Crépitements des flashes, aucun doute, ce sont des stars! Les bouteilles, pas nous! Et poseuses en plus!


Samedi 24 avril 2004, 13heures 30. Les photos à peine terminées, c'est l'heure d'entamer le débouchage et le carafage de certains exemplaires. Tous les sommeliers présents sont recrutés pour cette tâche, ce qui a finalement occasionné beaucoup de boulot à notre ami Fabien. Enfin, ça y'est! Toutes les bouteilles sont ouvertes, tous les dégustateurs sont là , ouvrez le ban, sonnez trompettes, ça va commencer!

Participent à cette séance, Paski55, Claudius, Yves Zermatten, Alain Winemega, JérômeM, Fabien, Dominique Fornage, un dégustateur Valaisan confirmé et réputé, ainsi qu'un autre Valaisan, ami de longue date de Paski, qui préfèrera sans doute garder l‘anonymat, puisque j'ai complètement oublié son nomgrinning smiley, et votre serviteur, Olif. Xavier « Oeno.ch » qui met les locaux à notre disposition, ne peut malheureusement se joindre à nous, car réquisitionné par l'Armée Suisse à l'occasion de la célèbre Patrouille des glaciers, mais il réussit tout de même à déserter 5 minutes pour nous faire une petite visite-éclair.

Samedi 24 avril 2004, 12heures 40.Création officielle du Las Cases'Group from Leytron.

Après moult hésitations, les vins sont finalement servis par séries, dans l'ordre initialement prévu, ou presque, séries qui seront pour certaines fractionnées de manière à ne pas avoir trop de verres simultanément.

Première série: celle des petits!

1977: robe grenat encore brillante, légèrement tuilée, nez assez fin, empyreumatique, qui s'étiole assez rapidement. La bouche est un peu mince et manque de consistance.

1987: robe grenat homogène, premier nez pas tout à fait net (champignon moisi?) qui laisse place à des notes « entre deux », pas complètement tertiaires, de cigare et de prune. Attaque franche, mais vin de demi-corps, manquant de longueur. Probablement passé.

1991: robe grenat sombre, nez relativement peu expressif, légèrement moka. Plus corpulent que le précédent, je lui trouve une relativement belle concentration pour le millésime, mais tout est relatif! Pour Dominique Fornage, on sent les progrès réalisés en vinification malgré une matière initiale relativement pauvre.

1992: robe tuilant légèrement, nez marqué par des faux-goûts (pansement, iode, vieux champignon). Demi-corps, longueur correcte, finale acide. Maigrelet!

1993: robe d' un encore bel éclat. Nez évolué qui libère progressivement des notes empyreumatiques agréables, plutôt moka. En bouche, je lui trouve pourtant des tanins sévères et austères. Plus de matière et mieux structuré que les précédents mais pour moi un millésime sans charme.

1997: robe juvénile, mais nez finement torréfié, sur le moka, l'arabica. La bouche est séduisante et fondue, équilibrée, même s'il semble surtout tenir grâce à son bois. Un 97 charmeur, séduisant, assez typique de son millésime, et bien évidemment très controversé. A prendre pour ce qu'il est, un vin de plaisir, sans côté racoleur à mon avis.

Deuxième série: celle des intermédiaires!

1979: robe grenat évoluée, arômes tertiaires empyreumatiques, légèrement cacaotés, structure encore vive et fraîche, finale un peu courte, mais c'est un vin d'une compagnie très agréable. Plutôt une bonne surprise, même s'il ne faut pas l'attendre indéfiniment.

1978: robe brillante, ne faisant pas son âge. Nez un peu sur la réserve, très élégant, se révélant par petites touches encore fruitées (prune). Bouche ample, ronde, harmonieuse, étonnamment concentrée. Une très belle bouteille encore loin du déclin.

1983: robe grenat soutenu, nez intense, sur la réduction (écurie), s'harmonisant à l'agitation. Bouche ample et ronde, bien structurée, finissant sur des tanins un peu amers. Tout à fait correct sans que l'on puisse conclure à un grand vin.

1994: robe sombre, nez sur la réserve, mais la bouche est vive et fraîche, sans verdeur, bien construite, avec une longue finale. Beau vin, encore très jeune, un des meilleurs 94 que j'aie bu.

1999: s'il me fallait qualifier un vin de putassier et grossier, ce serait celui-là ! Le nez est très boisé, toasté. La matière est crémeuse, mais avec impression de dilution ou d'assèchement en milieu de bouche. La rétro se fait sur les tanins du bois. Je n'aime guère!

Troisième série: celle des vénérables anciens!


1934: l'ancêtre! Robe tuilée mais encore soutenue. Le nez est un peu éteint. En bouche, on retrouve pourtant de la vivacité, sur des notes de prune et de cacao. Respect pour l'aïeul, de l'âge du beau-père de Fabien!

1947, mise négoce (Cruse): fin septembre, au petit matin, en plein sous-bois à la saison des champignons. Bolet? Tricholome? Non, finalement, liège! Et dire que le bouchon était venu en entier!

1947, mise Château: robe tuilée mais sombre, nez concentré, puissant, un peu empyreumatique. Un peu d'austérité, une acidité encore marquée, beaucoup de tonus en fait, le rendant très agréable à boire, malgré un durcissement rapide à l'air. Loin d'être passé, une bouteille à consommer rapidement après ouverture.

1948: poussière de cacao au nez, mais une fraîcheur réjouissante. La matière est somptueuse, les tanins, quoique légèrement poussiéreux, sont très civilisés et délivrent de belles notes empyreumatiques de chocolat. Longue finale toujours vive. Quelle jeunesse! Un superbe vin!

Quatrième série: celle des robes sombres et denses!

1985: carafé en dernière minute, le nez s'ouvre peu à peu et le vin se révèle par petites touches. Bien fondu, à maturité, c'est une bouteille très agréable dans un registre plutôt élégant.

1986: austère, avec des tanins sévères et séchards, il est soit complètement fermé, soit victime d'un problème de bouteille, pardon de magnum. Une déception!

1988: nez encore fermé, légèrement brûlé, avec un petit côté végétal (poivron) mais bien mûr. Volume imposant, grosse structure et retour du fruit en finale.

1989: nez fin et racé, et pourtant, grosse concentration, tanins un peu massifs, volume imposant, de la mâche en finale. Une bouteille superlative qui fait malgré tout preuve d'un bel équilibre, un grand vin en devenir.

Cinquième série: celle des jeunots!

1995: très fruité (fruits noirs), fine touche boisée, belle structure, plus en élégance qu'en puissance. Classique mais peu expansif.

1998: nez torréfié, sur le cèdre. Gras et opulent, avec des tanins charnus, enveloppant bien la bouche. Trop facile? D'un style international? Peut-être, mais c'est bon et on sent quand même la race!

1996: si le boisé est encore présent, le grain est très fin, les tanins sont serrés et la structure fraîche en bouche. Longueur exceptionnelle! Un monstre, à attendre longtemps!

Sixième série: le match des 2000!

Je n'étais pas favorable à cette petite digression mais finalement, je ne le regrette pas! Elle nous a fait mesurer combien inconsciemment, nous avions appréhendé le style Las Cases, puisque tout le monde (ou presque) a identifié les vins à l'aveugle.

LLC 2000: fruits noirs, crème de fruits, liqueur de fruits! De l'alcool, donc, un peu, mais une texture un peu serrée, presque guindée, légèrement poussiéreuse. Un vin d'aristocrate, à boire le petit doigt en l'air!

LB 2000: gras, riche et opulent, il libère un fruité explosif, sauvage, presque exubérant. Les tanins sont veloutés, d'un soyeux rare. Un côté bohème, débridé, baroque diront certains, qui le rend déjà diablement séducteur. Du fait d'une acidité élevée, il sera considéré comme le plus bourguignon dans l'esprit. Je fonds littéralement!

Septième série: celle des «légendes»!

1961, mise négoce (Nicolas): avec celui-là , la légende en a pris un coup! Robe tuilée, nez dérangeant, iodé, évoquant le varech à marée basse. Quelques notes tertiaires finissent par apparaître par vaguelettes successives. Décevant!

1982: robe sombre, juste évoluée sur les bords. Très beau nez, chocolaté, fruité, puissance et concentration, une grande jeunesse du fait d'une belle acidité. J'aime beaucoup mais c'est un vin très controversé!

1990: si la robe est belle, le nez est désagréable, marqué par des notes iodées et du bouchon. Un rendez-vous manqué!

Samedi 24 avril 2004, 20 heures. Fin de la première manche, départ direction Uvrier, à l'Hôtel des Vignes, pour la dernière série qui sera servie en accompagnement du repas. Cela ne fera pas de mal de se remplir l'estomac avec des choses consistantes.

Petit intermède avec un Johannisberg 1962 de Provins Valais, apporté par Dominique Fornage, une bouteille ayant défié le temps pour livrer une expression étonnamment originale et de toute beauté de ce cépage (le sylvaner) qui a trouvé en Valais une terre d'accueil exceptionnelle.

Retour ensuite à nos Moutons, euh...à nos Marquis, pour un délicieux et (trop) copieux repas. Les dernières bouteilles furent les plus difficiles à apprécier à leur juste valeur par bon nombre d'entre nous arrivés à saturation. De pourtant bien grands millésimes qui méritèrent une séance de rattrapage le lendemain midi.

Menu du Samedi 24 avril

Foie gras au torchon servi sur un pain maison aux lardons
Fines tranches de coquille d'agneau fumé accompagnées d'une salade de taboulé
Melon de Cavaillon et jambon de Parme
Salade asiatique aux ailerons de poulet

****

Petit risotto aux morilles et aux pointes d'asperges

***

Magret de canard au Chutney de mangue
Pommes paillasson
Bouquetière avec les légumes du moment

***

Chariot de fromages

***

Fraises marinées à  la Dôle et quenelle de glace vanille bourbon

Huitième série: ceux du repas!

1973: robe sombre, évoluée, presque couleur brique. Joli nez tertiaire cacaoté, évoquant les beaux grenaches. Bouche souple et fondue, très agréable. Un vin d'hédoniste!

1971: évolué, il se caractérise par une petite note de verdeur et une acidité marquée, trop pour ce qui reste de matière.

1970: souple et harmonieux, dans un registre superposable aux précédents, il se comporte bien mieux que dans mes souvenirs. L'acidité, également présente, est mieux équilibrée.

1975:encore du fruit (petits fruits à noyaux), une structure droite, rectiligne, avec des tanins encore bien marqués et peut-être un peu d'austérité due au millésime. La matière est belle et la tenue à l'air remarquable (il n'aura pas bougé d'un iota le lendemain midi, il se sera même amplifié). Pour amateur encore patient!

1966: nez tertiaire magnifique, cacao, pruneau, sous-bois. L'harmonie d'un beau Bordeaux à maturité. Une très belle bouteille que j'ai beaucoup appréciée malgré la lassitude qui commençait à s'installer.

1955: encore beaucoup d'allant, de la rectitude presque, même s'il s'exprime moins agréablement que le 66. Il ne dépare pas dans cette ultime série, même si les papilles demandent bientôt grâce!

1959: probablement un des sommets de la soirée et de la journée. Encore très sur le fruit (cerise) avec un petit côté noyau, il est très tonique, presque autant que son conscrit valaisan. Une grande bouteille dans un grand millésime!

Dimanche 25 avril, 0 heure. Les valeureux rescapés de ce marathon décidèrent d'un commun accord de clôturer la soirée. Rude journée qui a vu un des favoris abandonner en cours d'épreuve, au début du 8ème round, pour raison médicale, et où un deuxième a été quasiment porté à bout de bras et de paupières pour arriver à franchir la ligne d'arrivée, terrassé à la fois par un hoquet opiniâtre et un sommeil du juste. Je me demande si pour la prochaine verticale, il ne faudra pas exiger un certificat médical au départ de l'épreuve.(aaa)
A l'heure de se coucher, tout le monde arborait fièrement un sourire estampillé « Las Cases », les dents joliment colorées de tous les tanins de la journée. De quoi faire de beaux rêves au pied des montagnes valaisannes, toujours coiffées de leur blanc bonnet.

Dimanche 25 avril, 0 heure 15.Dissolution officielle du Las Cases'Group from Leytron! C'est la fin d'une belle aventure qui se poursuivra néanmoins jusqu'à la fin d'après-midi, sur une terrasse surplombant la ville de Sion, de quoi réviser encore un peu!

C'est fini!

Si je devais résumer cette verticale en quelques mots, je dirais que le Grand vin du Marquis de Léoville est effectivement un grand vin, qui s'en tire cependant de façon irrégulière suivant les millésimes. Plus grand ou aussi grand que les plus grands, je ne sais, mais pour qui a eu le bonheur de tremper ses lèvres dans un 1947, un 1948, un 1959, un 1966, un 1978, un 1989, un 1996, un 1998, voire un 2000 (même si sur ce coup-là , Barton m'a plus impressionné!), cela ne fait aucun doute! Monsieur le Marquis est bien une légende bordelaise!

Olif

 

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