L'orage a beau avoir grondé toute la journée, l'Ouest lointain a fini par s'embraser, donnant un caractère doublement flamboyant à cette dégustation crépusculaire autant que prometteuse. A l'invitation de Julien Labet, nous nous sommes retrouvés une poignée sous un mélèze rotalien à déguster jusqu'au bout de la nuit le millésime 2007 en horizontale, suivi d'une incursion en 2005 puis 2002. Beaucoup de vins blancs à goûter, donc, avant de se reconstituer grâce à une sublime côte de bœuf et quelques vins rouges du cru.
Le domaine Labet, situé à Rotalier, c'est avant tout un collectif: les parents, Alain et Josie, ainsi que trois enfants, Julien, Romain et Charline. Précurseur dans les élevages parcellaires de vins ouillés, Alain Labet a peu à peu confié la direction des opérations en cave à Julien, qui possède en outre son domaine en propre, sur des parcelles parfois contigües à celles du domaine familial. Les éventuelles différences entre les cuvées viendront de la vinification, Julien expérimentant un peu plus sur la production de son domaine personnel, notamment en diminuant les doses de soufre. Les vins sont servis rafraichis, à l'aveugle, l'identification du cépage et du terroir n'étant pas forcément si évidente que cela, même pour un grand vigneron comme Alain Labet. Tous sont en appellation Côtes du Jura, évidemment!
- Fleur de savagnin En Chalasse 2007: une vigne plantée en 2003 et des raisins récoltés en légère surmaturité, avec 12,7° de potentiel. Un vin riche, puissant, minéral, légèrement anisé, porté par une très grande acidité.
- Fleur de savagnin En Chalasse 2006: récolté avec un peu moins de botrytis qu'en 2007, il possède pourtant une grande douceur en vouche. Une sensation presque voluptueuse. Riche et puissant, il termine sur une sensation rafraichissante d'agrumes et de beaux amers, signe de sa grande acidité.
- Savagnin 2006: une cuvée spéciale de savagnin gros vert récolté au lieu-dit La Bardette et élevé 28 mois en fût. La robe est dorée, le nez est confit, sur l'écorce d'orange. La bouche est parfaitement calibrée, large et longue, avec une finale très épicée. Superbe!
Place au Chardonnay sur les cuvées suivantes:
- Fleur de Chardonnay 2007: nez frais et minéral, légèrement iodé avec une pointe de lactique. Tonique (du gaz!), acidulé et frais. Cette cuvée, issue de vignes de 45 ans provenant du sommet des Varrons, est élevée sur lies, en mode réductif qui apporte des notes de menthol et un caractère végétal. Le sommet de la butte des Varrons, c'est du "caillou", un sol purement calcaire.
- Les Varrons 2007: nez légèrement anisé, avec des notes de pêche blanche. Relative rondeur, minéralité marquée, un peu rèche, bouche large et finale un peu chaude. A ce stade, il manque un peu d'éclat.
- Les Varrons 2007, Julien Labet: une parcelle distincte, exploitée par Julien, indépendamment de celle du domaine, et embouteillée sous son nom. Nez très anisé, fenouil, vivacité en bouche dès l'attaque. Un vin dynamique à la finale acidulée sur une belle amertume. Beaucoup moins de SO2 (8 mg) que dans la cuvée du domaine et une bouteille qui remporte tous les suffrages.
- La Reine 2007: une toute petite parcelle d'argiles rouges qui ne produit que 2 pièces. Le nez est grillé, très fin, mais ce n'est pas de la réduction car l'élevage ne se fait pas sur lies. Bouche vive, d'une classe folle, élégante, acidulée en finale. Un vin absolument superbe, d'une définition irréprochable.
- En Chalasse 2007: nez très fruit (pêche), gourmand, même si Alain Labet n'apprécie que moyennement ce qualificatif passe-partout. La bouche est en léger décalage, acidulée, avec une finale un chouïa amère, moins gourmande que ne le laissait supposer le nez. Pas mal de raisins en surmaturité à la vendange, dans cette cuvée.
- Le Montceau 2007: nez fin, légèrement lacté, praliné. Bouche élégante et racée, à la texture délicate et soyeuse. Finale d'une grande douceur, suave, soutenu par un trait acidulé. Un magnifique vin, issu de sols calcaires blancs du Batonien. Alain Labet est épaté, retrouve la grandeur du Montceau, pour lui disparue depuis quelques millésimes.
- La Bardette 2007: petite déception car elle ne se goûte pas bien. De la réduction qui amène de l'amertume, malgré la pointe de gaz. Elle n'est pas en place, mais ça viendra probablement, elle demande du temps, la Bardette, en principe.
- En Chalasse 2007, VV de 70 ans: nez retenu, bouche fondue, calibrée, bien structurée, sur une longue finale salivante. Un vin apaisant, avec de la chair, qui laisse tout le monde béat d'admiration, même si le coucher de soleil commençait à s'éteindre.
Une petite lampe, au chevet du coucher de soleil éteint!
- La Beaumette 2005: nez sur les agrumes qui se prolonge par un ananas somptueux en bouche. Un peu de gaz, une belle tonicité, prolongée par une grande acidité. Comme du Gros Manseng, mais dans le Jura, il franchit le mur du "nçon".
- Les Varrons 2005: nez caramel au lait, breton sur les bords, c'est à dire un peu salé. Iodé, large en bouche, puissant, pas détendu. Il ne se livre pas complètement, quoi, même si le côté caramel lui vient apparemment du terroir.
- La Reine 2005: nez discret, mais une bouche fuselée et élégante, tendue en finale. Un vin scintillant!
- La Bardette 2005: le nez est très fin, comme retenu, discret mais élégant, tout en dentelle. Le fruit perce en bouche, cette Bardette saura se livrer dans le futur à qui aura la patience de l'attendre.
- Fleur de Chardonnay 2002: une bouche un peu taillée à la serpe, incisive, qui possède beaucoup d'acidité, plutôt tartrique, et une rusticité toute jurassienne, ce qui n'a évidemment rien de péjoratif pour un vin positionné en entrée de gamme, avec 7 années de cave.
- La Bardette 2002: un vin paradoxal, à l'élevage un peu particulier. Mis en bouteille avec des levures de fermentation alcoolique, non terminée alors, ce qui lui donne un caractère oxydatif involontaire, sans signes d'oxydation véritable. Un peu compliqué à appréhender sur cette bouteille, tandis qu'une autre, goûtée il y a un mois au restaurant s'était avérée somptueuse. Pas reconnu, du coup!
- Le Montceau 2002: nez superbe, intense, plein, un peu miellé. Bouche à la fois riche et contenue, se livrant par petites touches successives, mais, au final, se donnant totalement. Magnifique vin! Et Alain Labet n'en finit pas de retrouver ce Montceau qu'il aime tant et qu'il avait un peu perdu de vue depuis quelques millésimes. Une petite merveille emplie de fraicheur.
- En Chalasse 2002: nez puissant, enrobé, miellé, encaustique. Un vin riche, au caractère légèrement oxydatif, à la finale légèrement amère, peut-être pas tout à fait en place actuellement. A revoir, surtout qu'il s'agit en théorie d'un des vins les plus prometteurs produits par le domaine.
- Les Varrons 2002: nez légèrement grillé, caramel au lait, la marque du terroir. "Sur l'âge", mais sans évolution marquée, il laisse la bouche nette, tout en imposant son caractère et sa minéralité calcaire. Longue finale et très belle bouteille.
Réputé pour ses blancs, le domaine produit également quelques rouges considérés comme anecdotiques par
Alain et Julien Labet. Il n'en est rien, évidemment. Modestie, quand tu nous tiens! Les poulsards du Sud-Revermont, à l'instar de ceux de
Fanfan Ganevat, n'ont rien à envier aux meilleurs du nord du département. "
Le 98, c'était même du Rayas, à la vendange", d'après Alain Labet. C'est en tout cas ce qu'il imaginait faire au vu de la qualité des raisins, quasiment exceptionnelle. Au bout de plus de 10 années, ce n'est peut-être pas Rayas quand même, mais un vin néanmoins sublime, qui défie le temps. D'une jeunesse à toute épreuve, des tanins soyeux (bon, pas ceux de Rayas!) et toujours beaucoup de fruit. La côte de bœuf ne s'est pas plainte, loin de là.
Pour ce qui est de prolonger sa connaissance de l'appellation
Côtes du Jura, on n'hésitera pas à se référer à l'excellent article d'
Emmanuel Zanni, dans le dernier numéro du
Rouge & le Blanc, la revue de référence de l'amateur du rouge et du blanc. Et du jaune aussi, parce qu'apparemment, ils sont tombés sous le charme de la région, les petits gars du
Rouge & le Blanc. Ça fait quand même plaisir que des journalistes qui écrivent sur le vin s'intéressent véritablement au vin et aux vignerons, finalement.