Beaujolais (surtout pas) nouveau ... aux Jardins
Jeudi 19, le troisième de novembre. Date sacro-sainte, propulsée par le marketing vinique comme celle où le quidam doit s'abreuver jusqu'à outrance de vin nouveau, en provenance directe des mammelons du Beaujo, que quand on les presse il en sort du lait du vin. Petit paradoxe que cette grande beuverie organisée, auparavant plébiscitée par tout un chacun, généralement non-amateur de vins, et très peu regardant sur la qualité de la bibine enfournée dans son gosier. Les œnophiles éclairés snobaient, la narine vissée dans leur Château Machin-chose, fleuron bordelais du bon boire. Maintenant, c'est clair, le Beaujolais n'a plus la cote auprès du grand public, aussi prompt à crier haro sur le baudet qu'il ne sifflait du Bojo laid. Et pourtant...! Les vins n'ont jamais été aussi bons que maintenant! Enfin, ceux élaborés dans le plus grand respect du vivant, avec le moins de Gibolin possible en n'dans. "Brut de cuve" ou "Pur jus", le voilà le vrai credo du vin nouveau, celui qui embaume le raisin et qui laisse les idées claires et nettes le lendemain matin, même aux aurores. Les œnophiles éclairés, certainement un peu bobos sur les bords, ceux qui n'en peuvent plus des arômes aseptisés du Chateau Machinchose, se retrouvent désormais dans cette conception festive du vin, que les non-amateurs délaissent au profit de soirées lait-fraise nouveau, beaucoup plus nutritives pour le corps que pour l'esprit, tandis que les adorateurs persistants du Château Machinchose renaclent toujours à humer les arômes fruités des vins naturels sous prétexte qu'ils n'existent pas. Les bourricots! Les ventes de Bojo Nouvo, elles, chutent à la même vitesse que les vignes s'arrachent là-bas. Heureusement, certains s'enracinent autant que leurs ceps. Il serait quand même dommage de perdre la tradition en chemin, surtout si elle a du bon.
Le jardinier de Saint-Vincent sait la cultiver, même quand une grande partie de l'assemblée annule sa participation au dernier moment pour cause de grippe "hâche un nain" ou je ne sais quelle autre excuse fallacieuse. Ils ont eu bien tort. Du Beaujolais surtout pas nouveau pour débuter, et réaliser que la région produit quelques pépites et de très beaux vins de garde.
A l'aveugle, comme il se doit. Ni piège, ni pirate. Juste un blanc, pour commencer.
- Le Jambon blanc 2004, La Grande Bruyère, Philippe Jambon: nez sur la poudre d'amande, le massepain, clairement un peu oxydatif. Forcément, un élevage long du type "vieux ouillé". Puissant et riche, un peu massif, mais avec beaucoup de fraicheur et de la tension. Longuement persistant, avec des caudalies dignes d'un savagnin jurassien.
- Morgon Côte de Py Javernières 2007, Jean-Marc Burgaud: un intrus, en quelque sorte, ma bouteille surprise, la seule en viticulture conventionnelle de la soirée. Un vin que l'on sent maitrisé, clean et propre, avec des tanins gras, polissés, un peu trop. Premier nez légèrement soufré, cela n'échappera à personne. C'est bon, bien fait, et j'aime toujours bien. Mais il manquera un peu d'éclat par rapport aux suivants, cette petite touche de folie qui rend les vins si craquants.
- Beaujolais-Village 2007, Michel Guignier: nez fruité très cherry, gourmand, affriolant. Bouche suave aux tanins croquants qui donnent envie d'y revenir. Immédiatement. Jusqu'à ce que le verre soit vide. Il le sera vite.
- Fleurie Au bon Grès 2004, Michel Guignier: premier nez sur la gentiane, très racinaire, végétal et frais. La minéralité ne tarde guère à pointer le bout de son nez. Les tanins accrochent, sans agresser, avec beaucoup de finesse. La finale est savoureuse et désaltérante. Du vin qui provient d'une cuve qui ne donnait pas entière satisfaction jusque-là. La mise en bouteilles a eu lieu en mai 2009 et le résultat est réellement étonnant. Un vin parti pour durer.
- Fleur de Granit 2006, Vin de Table, Michel Guignier: nez fruité, légèrement lactique (yaourt aux fruits rouges), texture serrée aux tanins suaves, remarquables de fraicheur et de minéralité. Tout jeune, il promet d'être une grande bouteille dans un futur pas trop lointain. Evidemment, il a été refusé à l'agrément, qui ne l'a pas fleuri. Trop bon, sans doute! Michel Guignier sera sans aucun doute la révélation de cette dégustation et de la fin d'année 2009. Du Beaujolais biodynamique qui n'a pas fini de faire parler de lui.
- Morgon Corcelette 2006, Jean Foillard: nez sur la cerise et le réglisse, avec une pointe d'alcool. Rondeur extrême, flatteuse au palais, pour ne pas dire flagorneuse. Vin un peu trop sûr de lui, et, du coup, presque plan-plan. C'est bon, évidemment, mais presque convenu.
- Roche Noire 2007, Vin de Table, Philippe Jambon: après le 2005 il y a peu, le 2007. Pas de chance pour Laurentg (private joke)! D'abord végétal, presque mentholé, il respire dans un premier temps la fraicheur. La trame minérale apparait en bouche, puis s'affirme. Les tanins déroulent, s'accrochent, jusque dans la finale, qui colle un peu au palais. Clap! Potentiel énorme, mais dans une phase peut-être un peu moins séductrice actuellement qu'il y a quelques mois. On va l'attendre, en fait. Quelques années.
Avec le traditionnel mâchon de cochonnailles, il était temps de se renouveler pour passer au vin nouveau. Presque tout mangé, quasiment tout bu! Et frais comme un gardon le lendemain. C'est ça aussi, le vrai Bojo Nouvo!
Olif