Le 25/01/2005 à 19:13
Première sortie vinique de l'année pour le GJP. Les journées sont encore courtes et les disponibilités limitées. En une après-midi, seul le Jura s'offre à nous, ce qui n'est déjà pas si mal ! Les plaques de neige et de glace encore présentes sur certaines routes non salées des hauts plateaux ont eu beau essayer de freiner notre progression, notre enthousiasme ne fut pas altéré. Et ce n'est qu'avec un tout petit peu de retard que nous arrivons chez Michel « Canal Trousseau » Gahier qui nous attend sur le pas de sa porte.
Et c'est parti pour un adaggio allegro non tropo, en deux temps et trois mouvements. Claudius me corrigera au besoin, car je n'y connais absolument rien en musique !
Domaine Michel Gahier : temps un, mouvement un, moderato crescendo !
On rentre d'emblée dans le petit caveau de dégustation et le vif du sujet. D'abord quelques 2004 en cours d'élevage. 2004, une année globalement généreuse qui va permettre de refaire les niveaux dans les caves des vignerons, avec certainement de la qualité chez ceux qui auront su trier.
Chardonnay 2004, jus de base de crémant
Beaucoup de légèreté dans ce jus encore en cours de fermentation, exhalant des notes de châtaigne, et possédant une acidité un peu mordante en finale.
Chardonnay 2004
Sur la réduction, il possède néanmoins beaucoup de fraîcheur et de vivacité.
La Fauquette 2004
Du melon à queue rouge en provenance d'un terroir de marnes rouges en exposition Sud, Sud-Est. Un vrai terroir à oxydatif, même si cette Fauquette-là n'a évidemment pas encore eu le temps de prendre le voile. Nez réduit et fermentaire, bouche tranchante mais possédant une profondeur déjà impressionnante. Attendons que les levures fassent leur ouvrage !
Savagnin 2004
Nez similaire sur la réduction, mais en bouche une étoffe déjà plus cossue, avec plus d'amplitude et même déjà du gras. L'augmentation des volumes en 2004 , du fait des rendements supérieurs, mais aussi d'une augmentation des surfaces, permettra à Michel de décliner le cépage sous toutes ses formes.
Trousseau Grands Vergers 2004
En phase de réduction, mais un fruité qui s'impose bien à l'agitation. Une belle concentration pour un trousseau plutôt bien coloré. Rendements de 40 hl/ha.
Trousseau 2004
Un vin friand et croquant à la robe rubis clair. Souple et arrondi, il a déjà probablement terminé sa malo et se laisse apprécier pour sa fraîcheur et son naturel.
Trousseau Grands Vergers 2003
Avec celui-ci, on commence à approcher la quintessence de l'expression du cépage, avec des notes épicées et confiturées. Les tanins sont encore marqués et le vin entre probablement dans une phase de fermeture. Il faudra lui laisser un peu de temps pour le goûter au mieux.
Trousseau 2003
Pas encore commercialisé, contrairement aux Grands Vergers, mis en bouteilles sur le fruit il y a déjà quelque temps, ce trousseau exhale de jolies notes de bigarreau au sirop, mais se goûte paradoxalement un peu difficilement en raison d'un « effet de colle ». Les tanins sont sévères avec un peu d'astringence, ce qui explique la raison du collage, qui sera suivi d'une légère filtration, pour les adoucir et éviter un assèchement trop important.
Trousseau 2002
La robe est rubis clair, tirant sur la pelure d'oignon. Le nez est ouvert, fruité, avec une légère note de caoutchouc. La bouche est avenante, aimable, avec des tanins biens polis. La longueur et la persistance aromatique sont marquantes pour un vin qui n'est pas un monstre de concentration. Je lui aurais donné quelques années de plus mais il se goûte merveilleusement bien en ce moment.
Trousseau 2000
Un trousseau archétypique qui possède beaucoup de rondeur et d'expressivité. De la confiture de petits fruits rouges épicés !
Trousseau Grands Vergers 1999
Un vin à la robe rubis soutenu et au nez intense de fruits rouges, de griottes au sirop et d'amande douce, qui se trouve dans la fleur de l'âge, sans signe d'évolution, pourtant.
Chardonnay 2002
Ouillé toutes les semaines, il n'a pas su, pu, voulu, résister à l'appel de l'oxydation ! Il est magnifiquement ancré dans le Jura, un vin comme on en produit nulle part ailleurs, à la structure épurée d'une grande beauté formelle. J'adore !
Chardonnay Les Crêts 2002
D'intenses flaveurs de pomme, d'épices, de gingembre et de clou de girofle laissent à penser que ce vin, ouillé pendant une année, va néanmoins partir sur le versant oxydatif. Les levures indigènes ont encore frappé! Ce qui ne retire absolument rien à sa qualité.
La Fauquette 2000
Nez de curry, d'amandes et de noix, mais cette fois c'était recherché! Une large structure de type oxydatif mais en même temps une grande douceur et beaucoup d'allonge. Une Fauquette toute juvénile qui n'égalera peut-être pas son aînée, mais qui est néanmoins dans la même lignée.
La Fauquette 1999
Une vraie galette des rois! Massepain, amande, frangipane. Un vin cubique, aussi long et large que profond. La puissance du millésime s'affiche clairement mais intègre progressivement l'alcool sans que celui-ci ne crée de déséquilibre. De la belle ouvrage!
Savagnin sous voile 2000
4 ans de fût sans ouillage pour ce vin au nez de jaune! Nul doute qu'il serait parvenu à ce stade si l'élevage s'était poursuivi, mais il s'agit d'une déclinaison qui permet de répondre aux attentes de la clientèle. Car s'il donne une idée de ce que peut devenir un vin jaune par son aromatique (noix, éther, épices), il n'en possède pas la profondeur et la complexité, ce qui est bien logique. La longueur est par contre déjà interminable et la rétro se fait sur des notes de cucurma et d'épices qui réapparaissent en bouche plusieurs secondes après que le vin ait été recraché (ou avalé). Un savagnin d'école et un bon apprentissage du jaune.
Vin Jaune 1996
Puisqu'on parle de Jaune, le voilà qui pointe son nez d'épices, de frangipane, d'amande amère, d'amaretto sans la cerise! Et pourtant, on peut presque le considérer comme fermé! Tout en finesse et en longueur, la bouche demande encore du temps pour s'exprimer pleinement. Un vin jaune d'une grande élégance, pour plus tard!
Vin Jaune 1994
ça commence en douceur, par des notes de pain d'épices, de miel, puis ça monte progressivement en puissance, pour emplir la bouche et signifier qu'en finale, on est bien devant un Vin Jaune. 2 bonnes minutes après l'avoir dégluti, il est toujours là ! Le premier millésime de Michel Gahier en Jaune.
Vin de Paille 2003
100% Chardonnay. Déjà goûté au stade embryonnaire il y a un peu plus d'un an j'avais été charmé par son naturel confondant. Actuellement, sa robe commence à dorer légèrement. Il possède toujours beaucoup de fraîcheur dans ses arômes de fruits secs et de tabac blond. La petite pointe de gaz résiduelle commence à s'estomper et il en ressort une grande douceur. Excellent en l'état, il risque d'être mis en bouteilles prochainement, ce qui l'exclura des critères de l'appellation Vin de Paille pour cause d'élevage insuffisamment long. Une situation qui risque de devenir de plus en plus courante et problématique chez bon nombre de producteurs comme nous le verrons lors de la prochaine visite de la journée.
Domaine André et Mireille Tissot : temps deux, mouvement un, allegretto fortissimo !
Le domaine André et Mireille Tissot se situant à une encablure de celui de Michel Gahier, il ne nous faut guère de temps pour nous y rendre, nous arrivons pourtant un peu plus tard que prévu, on se demande bien pourquoi! Stéphane ayant une manipulation impérative à effectuer ce jour-là en cave (le crémant, ça n'attend pas!), il n'a pas beaucoup de temps à nous consacrer. Pas beaucoup de temps, mais son enthousiasme et sa passion prennent toujours le dessus et le voilà qui nous explique aussi sec les arcanes de la filtration Kisselgur, une filtration naturelle avec de la poudre de diatomées.
Les algues bouillonnent dans tous les coins, mais le résultat est probant. Le jus de crémant filtré, c'est celui de gauche!
Et puis, entre deux remplissages de cuve, il faut absolument que Stéphane nous fasse goûter les 2004 au fût, « il y a plein de choses intéressantes ! Mais vite fait, parce que j'ai du boulot! »
Chardonnay 2004, jus de base de crémant
Il s'agit de celui qui a été filtré! Impression furtive d'un vin déjà presque accompli, bien arrondi. N'y manque que la prise de mousse!
Poulsard VV 2004
Stéphane privilégie volontairement des élevages en milieu réductif, tant sur les rouges que les blancs, ce qui permet un usage intelligent de la barrique, la pratique de fermentations douces et longues et l'utilisation la plus minime possible de soufre.
Sur ce Poulsard, ce qui frappe, c'est sa grande fraîcheur, son fruité et sa buvabilité. C'est déjà très bon, et on a envie d'en avaler une gorgée!
Trousseau 2004, 1er fût
Très coloré, il est déjà presque gourmand également.
Trousseau 2004, 2ème fût
Des raisins de 3ème feuille en provenance des vignes replantées au pied de la Tour de Curon. Une pureté de fruit éclatante et un soyeux extrêmement prometteur. Un grand terroir renaît!
Poulsard 2004, sans soufre
Il présente encore une petite pointe de gaz, mais se goûte aussi déjà très bien.
Pinot Noir 2004, En Barberon, 1er fût
Raisins entiers, pigés aux pieds, avec 1,5g de soufre, ce qui est presque une quantité négligeable. Le 2003 à ce stade m'avait épaté, celui-là n'est pas mal non plus, avec un gras et un soyeux qui sont déjà impressionnants.
Pinot Noir 2004, En Barberon, 2ème fût
Raisins égrappés, avec un peu plus de soufre. Les tanins sont plus marqués, moins soyeux, ne bénéficiant pas de l'apport adoucissant de la rafle. Les deux fûts seront assemblés dans des proportions de 50/50 pour constituer la cuvée En Barberon. Il est probable, que dès l'année prochaine, la proportion de raisins entiers augmentera.
Les Graviers 2004
Nez très réduit, de façon toujours volontaire. Beaucoup de matière, très serrée, avec perception boisée marquée (fût neuf). Mais la définition est déjà très précise.
Les Bruyères 2004
La réduction est ici moins sensible. On perçoit une agréable petite note grillée, adoucie par la présence d'une petite pointe de sucre.
En Barberon 2004
La cuvée de Chardonnay sans soufre du domaine, inaugurée avec le millésime 2000. Au plus près du raisin, qui est presque encore croquant.
Le Clos de la Tour de Curon 2004
Le voilà enfin, ce Chardonnay de la Tour! De toutes jeunes vignes, mais un vin qui se démarque déjà des autres. «C'est autre chose!», d'après Stéphane. Il est pourtant élevé comme les autres vins, mais le terroir semble ici extraordinaire, apte à produire des vins hors normes. Nez légèrement réductif, puis le fruit s'impose, un peu exotique. Sa densité et sa pureté en bouche sont déjà fort impressionnantes. Le futur Montrachet d'Arbois?
En Barberon 2003, fût neuf
Déjà goûté au même endroit en juin 2004, il n'a toujours pas terminé sa fermentation! Ce qui contribue à entretenir un bâtonnage doux, spontané et perpétuel, comme l'atteste sa robe qui n'a pas encore atteint la clarté du vin blanc en fin d'élevage. Le soyeux de texture est pourtant déjà bien là !
En Barberon 2003, fût de deux vins
Celui-ci n'a encore pas totalement digéré ses sucres! Un élevage cousu main!
Savagnin de glace 2004
Il est peut-être un peu tôt pour en parler, de celui-là , mais je ne résiste pas! Une parcelle de savagnin vendangée le 22 décembre 2004, entre 4 heures et 7 heures du matin, par -11°C, à la frontale! Le nez surprend au premier abord, de par son caractère inhabituel pour un savagnin, mais la quintessence du cépage, dont on retrouve déjà l'ossature et l'acidité, a été extirpée par la cryo-extraction naturelle. Un vin pour l'instant déstabilisant mais qui devrait être exceptionnel!
Vin de Paille 2004
Pour terminer, nous avons également goûté le Paille 2004...sous forme de raisins de poulsard passerillés! De la gourmandise! De vrais et beaux raisins passerillés sur la paille, à l'ancienne, comme dans le temps, parmi les rares (ou les seuls ?) à connaître encore le lit de paille, et qui ne seront pas pressés avant le printemps, contrairement à l'immense majorité de leurs pairs. Au final, ils ne pourront pas revendiquer la mention Vin de Paille! Paradoxe (et injustice ?) de la réglementation!
La grande quantité de raisins récoltés cette année va permettre à Stéphane de se faire plaisir et d'innover sur les liquoreux. De jolies surprises en perspective, probablement! Patience, donc !
Finalement, heureusement que Stéphane n'avait pas énormément de temps à nous consacrer car nous y serions encore ! Pour goûter les vins en bouteille, il nous dirige donc vers le caveau du centre d'Arbois, où son père André monte la garde, pour cause de Muriel en RTT.
Domaine André et Mireille Tissot : temps deux, mouvement deux, pianissimo !
Le temps maussade qui règne en ce jeudi après-midi n'a guère incité le chaland à la promenade, aussi André est-il tout content de nous voir arriver malgré l'heure relativement tardive. Il ne nous reste guère de temps pour déguster mais nous avons dans nos bagages 2 bouteilles que Stéphane nous a confiées pour les ouvrir avec lui. Et puis, pas question de ne pas goûter à certains vins dont l'achat était programmé. Avec Dédé, on prend son temps ! Celui de s'asseoir et de discuter. L'occasion pour lui d'évoquer, l'oeil brillant, la réussite de son fils, même s'il lui a fallu un peu de temps pour se faire à l'idée de ses vignes aussi « mal entretenues », totalement enherbées, alors que «de son temps!». Même si le domaine avait déjà une excellente réputation lorsque lui-même s'en occupait, il faut reconnaître que Stéphane l'a hissé vers des sommets insoupçonnés jusqu'alors, en s'appuyant sur une culture de la vigne et un travail en cave d'une exigence exemplaire. Et il en est fier à juste titre, André!
La Mailloche 2003
On attaque par ce cru fétiche, millésime 2003. Les notes fumées et argileuses sont bien là . Il y a du nerf et du mordant, du gras aussi, qui donne une sensation moins incicive que sur les millésimes précédents. Personnellement, je suis fan, et trouve ce cru dans la droite lignée, les particularités du millésime mises à part.
La Mailloche 2001
Une des deux bouteilles que Stéphane nous a demandé d'ouvrir avec son père. Le nez a effectivement quelque peu changé depuis ma dernière rencontre avec ce vin, partant vers des notes légèrement oxydatives. Miel et épices, mais toujours ce côté fumé que j'aime tant. La structure reste épurée, racée et élégante. Un vin à suivre avec intérêt au vieillissement.
Les Bruyères 1999
La deuxième bouteille confiée par Stéphane. Un terroir argileux d'exception situé au Nord d'Arbois et qui surplombe la ville. C'est là qu'André a planté ses premières vignes il y a déjà bien longtemps de cela. Séquence nostalgie! Ce 99 n'est encore pas très âgé mais se goûte merveilleusement. Gras, riche et nerveux, il brille par une parfaite harmonie. Content du boulot effectué par le fiston, sur ce coup, le Dédé! Et sans regret au sujet de l'herbe qui a envahi l'argile des Bruyères, finalement!
Trousseau 2003
Un vrai petit bonheur de Trousseau, à la robe rubis clair, au nez explosant de petits fruits, aux tanins gras et veloutés, enveloppant la bouche avec une infinie douceur. Seule une petite amertume finale se fait sentir, mais le vin est encore si jeune!
En Barberon Pinot Noir 2003
Le rubis est beaucoup plus soutenu et le vin est à cette image, dense et serré, aux accents rhodaniens indiscutables. En cours d'élevage, Stéphane le comparait à du grenache. On part plutôt sur la Syrah, maintenant! Cela reste quand même un Pinot Noir impressionnant!
Vin de Paille 2000, Les Caves de la Reine Jeanne
Un vrai vin de paille celui-là , conformément à la réglementation en vigueur. Classique, sur le coing et la mine de crayon, et frais malgré les 14,5° d'alcool.
Spirale 2002
Des raisins passerillés à l'ancienne, présentés dans un nouvel écrin original, une bouteille très allongée qui n'a plus rien de Jura. La robe est ambrée, avec des reflets lilacés. La bouche reste fraîche malgré la sucrosité importante. Grande concentration pour un vin superlatif qui ne titre que 8°.
PMG 2000
L'ultra concentration! C'est toujours de la gourmandise! Mais je suis gourmand!
Derrière ce vin, il est difficile de goûter autre chose. Nous conclurons donc notre première sortie arboisienne hivernale sur cette douceur. Mais je crois qu'il y aura matière à revenir bientôt!
Olif